L'homme qui n'a pas de nom
L’homme qui n’a pas de nom
Il a le regard d’un enfant et les
traits d’un adulte. A cinquante ans, il n’a pas encore quitté sa hutte,
constamment enveloppé dans une épaisse pénombre. Quel est son nom ? Il
n’en a pas. Tout autour de lui était pourtant nommable, les hommes, les bêtes,
les plantes et les objets.
On a voulu le nommer Belgacem, puis
Ahmed, puis plus rien. L’enfant né infirme, les mains déformées, le cou
inexistant, la silhouette malingre…fut rejeté par le père, malgré les
supplications de la mère. On croyait qu’il ne survivrait pas à son mal. Alors,
on renonça à l’inscrire au registre civil. Mais le destin déjoua les prévisions
humaines et l’homme sans nom est orphelin des ses deux parents depuis déjà
quarante ans.
L’homme sans nom ne marche pas, il rampe. Il ne parle,
il marmonne. Il ne sait ni rire, ni pleurer. Il renifle fortement, la tête
baissée comme pour contenir une émotion débordante.
Grâce aux soins de quelques âmes
charitables, il ne vit pas à l’état bestial, mais comme une bête humaine,
enfermé dans une pièce de fortune dans un coin reculé d’un verger investi
d’arbustes sauvages, à la sortie sud du village.