Kamel Ben ouanès

Kamel Ben ouanès

La dérision et sa dialectique dans l'Itinéraire de Paris à Tunis de Hélé Béji



 

     La dérision et sa dialectique dans Itinéraire de Paris à Tunis de Hélé Béji

 

 

 

 

         L’ouvrage de Hélé Béji comporte un sous-titre : Satire. Ce terme a un double sens : d’un côté, c’est un ouvrage libre qui tourne en ridicule les mœurs d’une époque. De l’autre, c’est un écrit où se mêlent plusieurs genres et formes. En effet, la satire est une œuvre hybride, un « pot-pourri » littéraire qui comporte plusieurs éléments disparates. C’est pourquoi, la satire ne s’articule pas autour d’un récit, mais plutôt autour d’une construction fragmentaire. Dans ce sens, Itinéraire de Paris à Tunis comporte de portraits, de situations, de dégressions sous forme de méditations. Sa matière évoque tour à tour les intellectuels et leurs colloques, les écrivains et leurs ouvrages, la société mondaine et son snobisme ou encore la famille traditionnelle et ses mœurs bourgeoises. La satire couvre donc un champ si large qu’elle entraîne dans son sillage tout ce que la narratrice fréquente et  croise.

A la manière de l’incipit du roman proustien, la narratrice appréhende le réel alors qu’elle est encore dans un état de demi-sommeil, avec cette sensation de détachement de la pesanteur et d’élévation dans les airs.  La conscience traverse des images, survole des espaces et opère un itinéraire de Paris où elle se trouve dans son appartement, avant d’atterrir à Tunis où la conduit cette trajectoire mentale  et onirique.

Le texte de H. Béji suit donc un double mouvement d’ascension et de chute, puisque nous passons d’une vue globale et panoramique du réel à une focalisation et à un grossissement de détails. Et c’est précisément au gré de cette géographie mentale des êtres et des choses que se déploie la terrible machine de persiflage, de caricature ou de dérision, si bien que ce face à face du moi avec les autres tourne à  un règlement de compte ou à une diatribe virulente.

 

Comment se déclenche cette implacable machine satirique et quels sont ses ressorts et ses motivations ?

Il faut dire d’abord que la satire épouse la forme de la dérision. Mais qu’est-ce que la dérision ? Celle-ci consiste à dégonfler le sujet, à le démystifier, à le démythifier et à le réduire à un être insignifiant habité par le vide  ou la vacuité. Le premier trait de la dérision est donc l’insignifiance et le discrédit.

Ensuite, la dérision débusque chez le sujet le décalage entre ce qu’il est et ce qu’il fait. Ou pour reprendre un paradigme classique, l’écart entre l’être et la paraître. Ce second trait de la dérision est exprimé par un recours systématique à une écriture métaphorique. Joëlle Gardes Tamine ne dit pas autre chose quand elle affirme que « la dérision repose sur deux mécanismes fondamentaux : la réduction et le décalage. L’un comme l’autre enlèvent aux êtres et aux objets leur individualité, leur chaleur, et grossissent un certains nombre de traits seuls retenus sur le modèle de la caricature[1] ».

Ces deux modalités de fonctionnement de la dérision, H. Béji les applique à la lettre dans le portrait des personnages que sa narratrice rencontre ou croise. C’est ainsi que les intellectuels, amateurs des colloques et des séminaires, trônent dans les salons feutrés de grands hôtels et apparaissent « plats, ennuyeux, laids, insignifiants » (p16). Il n’y a plus en eux « le moindre grain de vie intérieure », ni de naturel. Ils sont par conséquent découpés de l’humanité (pp 16-17).

Il fallait recourir au dispositif métaphorique pour voir émerger une véritable dramaturgie de la dérision. En effet, dans l’écriture de H. Béji, la dérision du sujet s’organise autour d’une constellation de métaphores, comme si le visage ne pouvait se fixer qu’au prix d’une laborieuse stratification d’images comparatives. C’est ainsi que les intellectuels sont d’abord assimilés à des plantes flétries (p 17) : « ils se flétrissent sous mes yeux comme une plante à qui on administre une nourriture trop forte », puis ils sont comparés à des arbres desséchés et maigris : «  ils se montrent secs et tortueux, comme des arbres décharnés du parc dans la brume de l’hiver, sans réalité, sans visage » (p17). Ce registre végétal ou botanique cède ensuite la place à un registre culinaire : « des génies qui brillent comme une friture  refroidie et indigeste ». Les métaphores introduisent ici l’image de la pourriture et de la putréfaction et y impriment une note de raillerie mêlée de mépris.

 

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En composant le portrait du personnage de l’écrivain, la narratrice ne modifie ni les modalités de traitement, ni le registre descriptif. Elle commence par énumérer de traits qui visent à le rabaisser, à le discréditer afin de le ramener à incarner l’insignifiance, qui est le principe fondamental de la dérision. Par sa façon d’être et de parler, l’écrivain « inflige » à la narratrice tant de désagréments et d’aversions, si bien qu’il apparaît à ses yeux  sous des traits répulsifs : sa barbe, « c’est l’émanation de son esprit épais ». Ses yeux, « deux lents coléoptères sur une herbe drue » ; alors que ses idées sont d’une petitesse qui « se ramassait dans son regard avec la dureté d’une pièce dans la main d’un avare » (p27).

Par le biais de ce dispositif rhétorique, la narratrice appréhende son sujet tour à tour en physionomiste, en entomologiste et à la fin en moraliste. La preuve que la dérision exige le recours à un savoir et à une science érudite dont l’objectif est de souligner le contraste entre le snobisme affiché et le vide ou l’insignifiance qui caractérise la vie intérieure. C’est ainsi que l’intelligence desséchée laisse la place à « un chiendent ». Le cerveau, lui aussi, n’est plus qu’un « enclos séminal pour des poils ternes ». Quant aux pensées, elles ne favorisent chez cet écrivain que « la germination d’un simple collier ». (p29).  

 

A cette vacuité cérébrale et intellectuelle s’ajoute une dégénérescence morale : l’écrivain gesticule avec une telle fébrilité qu’il est assimilé à « un ivrogne qui se porte au coin des rues coiffé de l’idée désopilante de sa grandeur » (p27). Grâce à l’oxymore, l’écrivain est dépouillé de sa substance. Il est réduit à une marionnette ou à une figure de polichinelle dont l’allure et la posture sont façonnées par un automatisme risible. La dérision fonctionne ainsi comme une machine implacable qui démasque l’absence de l’humain et la disparition du naturel et ramène l’être aux proportions d’un bestial ou d’une bestiole : « je réalisais la véritable nature de mon interlocuteur, comme l’insecte sait la véritable fonction rampante du lézard dont il vient d’apercevoir l’écaille ondoyée contre le mur. » (p27).

 

En vérité, l’écrivain n’est pas appréhendé dans son individualité particulière et spécifique, mais plutôt comme le type même de l’écrivain actuel, donc le représentant d’une race ou d’une corporation particulière qui est ici l’objet d’un sévère procès. Les adjectifs qui le qualifient « poétereau, bellâtre, benoît » (p 27) ne sont pas seulement dépréciatifs, mais suggèrent par le biais de leurs sonorités les traits d’une silhouette comique et grotesque. Cette dépréciation n’affecte pas seulement le caractère intellectuel ou le statut de l’écrivain, mais s’étend aussi à ses travers, comme la servitude ou l’asservissement. Là aussi, la dérision débusque le décalage entre l’être et la paraître que souligne le sarcasme de l’oxymore « le triomphe de la nullité », ou encore mieux l’expression ironique « le courage d’être lâche », ou la dissonance symétrique  entre le tout et le rien « prêt à tout et capable de rien » (p28).

 

Cette focalisation sur l’écrivain devait conduire aussi à évoquer l’œuvre. A la manière d’un Sainte-Beuve, la narratrice établit une analogie ou un jeu de miroirs entre l’homme et l’œuvre. Si l’écrivain suscite un sentiment de rejet, voire de répulsion, l’œuvre doit suivre immanquablement le même sort et faire l’objet d’un pamphlet virulent. Dans ce sens, l’écrivain est présenté comme un « gris mollusque clapotant entre deux conversations » (p30), incapable de produire autre chose qu’un livre qui « vous renvoyait tout le climat asthénique de sa personne, la fumée de ses grands airs (…), l’encre de sa vanité » (p30).

Par un jeu métonymique, l’ouvrage est évalué au gré de présupposés dévalorisants. Ce livre, on le feuillette comme « ces petits calendriers que vous distribue le facteur à la fin de l’année pour toucher ses étrennes, avec des illustrations d’animaux domestiques, des plans de métro et des renseignements départementaux qu’on ne lit jamais » (p30).

Son style, « théâtral mais négligé, vous mettait mal à l’aise, un peu comme si vous pénétriez chez quelqu’un qui vous recevrait dans intimité en robe de chambre, en chaussettes, et en caleçon ; une familiarité de mauvais aloi » (p 31).

Sa prose, « plaintive comme un nourrisson qui se contorsionne au berceau, ou décomposée comme une vieille momie fantôme enfermée dans un sarcophage, vous marmonne un renvoi de lait ou de cendre, de pleurnicherie ou de râle, de niaiserie ou d’agonie(…). On ne sait plus, à le lire si on doit le consoler comme un nouveau-né, ou lui administrer la prière des trépassés ». (p31)

Ses romans « sont pleins d’orphelins d’oasis, de fantasmes de missionnaires, de belles étrangères accoudées aux nudités des sables et aux nostalgies des côtes barbaresques… ». (p31)

La présentation ne penche  sur les aspects littéraires de l’œuvre que pour mieux la battre en brèche, la démolir. En passant du livre à l’œuvre, la narratrice s’applique à souligner toutes les tares de cette écriture qui pèche par un excès de banalité, de fadeur, d’insipidité et de mauvais goût.

L’examen critique de l’œuvre vide celle-ci de sa substance et la réduit à une somme de clichés et à une matière ennuyeuse, terne, inerte dont la seule vertu, nous précise la narratrice, avec un implacable persiflage, est de procurer un paisible sommeil (p32).

Puis quand la dérision est poussée à l’extrême, elle se mue en ironie acerbe : « Il est le mage des touristes, l’esthète des cabanons, le poète des vacanciers » (p31).

 

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Chez H. Béji, la dérision, avec ses ingrédients de mépris et de sarcasme, s’attaque à des milieux entiers de la société. Ou mieux encore, c’est la société dans son ensemble que vise cette critique mordante. Mais faut-il préciser que le procès attenté à une galerie de types n’émane pas d’une conscience distante ou détachée. Bien au contraire. La narratrice est quasiment condamnée à fréquenter ces figures, à subir leur promiscuité et à souffrir de leur contact. C’est pourquoi, elle conçoit à leur encontre haine et ressentiment. Face au fonctionnaire international, à l’intellectuel ou à l’écrivain, la narratrice essuie toutes les peines du monde. Un sentiment de terreur désespérée s’empare d’elle. Des douleurs physiques l’affectent. Et pourtant, elle doit, au nom des convenances irréductibles, endurer tout cela derrière un sourire de politesse et « un maquillage de cire » (p26). Subir le discours de l’autre, c’est se condamner à un état d’indisposition et de souffrance : « Lassitude, douleurs dorsales, courbatures, ce virus sournois finira par vous terrasser. Oui un fiévreux au fond de son lit, dans le noir, palpant son chevet à la recherche de n’importe quoi qui soulagerait ses tempes, n’était pas plus malade, plus courbatu, plus malheureux que moi » (p26).      

Cet état n’est pas exceptionnel ou épisodique. Il est récurrent avec toutes les personnes qui affichent des relents de réussite ou de rayonnement : les riches, les intellectuels, les hauts responsables, les créateurs, etc.

 

 

Faut-il voir dans cette attitude  la marque d’une farouche misanthropie ou d’une aversion pour le genre humain ? Nullement, car dans ce naufrage généralisé que provoque la dérision, nous relevons, comme par un retournement dialectique, des rescapés, quelques figures qui ont été non seulement ménagées, mais qui ont reçu de la part de narratrice le témoignage de sympathie et d’estime. Des figures anonymes et marginales, toutes issues des classes inférieures : des domestiques, des acteurs obscurs et réduits à faire de la figuration, des chaouchs ou des serveurs dans les réceptions. : « Tout ce que l’excès d’aisance vulgaire ôte d’humanité aux convives, se réfugie sur le visage humide, brûlant et contraint de ces serviteurs » (p34). Cette même opposition entre une humanité chaleureuse et une autre refroidie trouve son écho dans le portrait de la femme du vestiaire  qui « apparaît, dans sa longue solitude, sur sa petite chaise, comme la seule gardienne d’un reste de chaleur humaine qu’auront conservée, en dépit de l’âme refroidie de leurs propriétaires, ces pelisses » (p34) ou encore dans l’esquisse de traits du chaouch dont « l’inactivité est une émanation des cercles sempiternels de la paperasse », mais qui incarne en vérité une « vieille humanité pensive et retirée dans l’apparente neutralité idiote de sa face d’abnégation ». (p35).

 

Dans Itinéraire, la description du marchand de cacahuètes à la plage (p51-52) occupe une place centrale entre deux portraits négatifs, entre l’officiel (p44) et le fils de bonne famille, modèle du conformisme et « du convenable bourgeois » (p68).

Le marchand de cacahuètes est décrit comme une silhouette pleine de dynamisme et de vitalité. L’agilité de son mouvement est d’autant plus esthétique qu’elle renvoie à « l’image du semeur dans la peinture d’un champ de blé ou du berger dans un tableau hollandais » (p 54). Parmi la foule des baigneurs, le marchand est doté des traits qui le hissent à une dimension cosmique, voire à un rang divin : «  ces cornets, chauds, craquants, salés (…) abandonnent les débris de leurs écorces païennes tombées dans le néant, et se convertissent, statuettes vaincues par la révélation, pour ne laisser resplendir que l’image du marchand, l’épiphane transcendance d’un dieu couronné ». (p56)

Ce mouvement ascendant qui part de la terre vers le ciel est en contraste avec la trajectoire qui structure le portrait du ministre ou du fils de la bonne famille bourgeoise dont le trait majeur est une chute dans l’insignifiance et la médiocrité : « Si leur insignifiance les gomme jusqu’à l’effacement, la vanité leur imprime une grossière visibilité qui gagne leurs joues comme des plaques grandissantes d’un glacis » (pp 46-47).

 

Tout laisse à penser que le monde, tel qu’il est décrit par la narratrice, épouse une configuration manichéenne, car autant l’humanité conserve ses attaches chez des silhouettes discrètes et silencieuses issues du petit peuple, occupant la périphérie, autant l’humanité s’est retirée d’une façon irréductible chez les intellectuels, les riches figures bourgeoises ou les hommes d’esprit qui occupent le centre: « Les efforts que je faisais pour les rattacher à l’humanité, ou à ce que ce mot évoquait pour moi, les en éloignait davantage ». (p16).

 

                                                        *   *   *

 

Cette vision ambivalente ou dialectique du monde structure l’ensemble de l’œuvre de H. Béji et procède du positionnement moral et idéologique de l’auteur.

Dans l’œil du jour, H. Béji imprime une ligne de démarcation entre ceux qui ont perdu leur identité ainsi que le sens de l’humain et ceux qui s’y attachent.  Dans ce roman, nous retrouvons le même jeu que dans Itinéraire et  la même dualité symétrique entre des personnages appréhendés sous le prisme de la dérision, et d’autres qui forcent le respect et la considération.

D’un côté, nous avons le portrait acerbe  du douanier « la palette barbouillée, écaillée, obscure, vertigineuse de la figure humaine » (p51), ou encore celui des féministes actives « muées en diplomates, elles font leur nouveau prêche d’une figure virile qui, cohabitant avec leur silhouettes ancestrales dont elle n’ont pas pu gommer les rondeurs bonasses, ni les reliques de harem (…) on les imaginerait dépliant tout juste encore leur tablier de cuisinière avant de quitter leur fourneaux contigus à la salle de réunion »  (l’œil du jour p135). (Voir aussi chap. XII p127-136).

De l’autre, nous avons de figures attachantes, affables et surtout incarnant une humanité inaltérable, à l’instar de la grand-mère, figure centrale du roman, ou encore de ce vieillard qui dénouait son mouchoir lentement dans sa main où il avait serré sa monnaie : « son humanité saillait comme une écorce, matérialisée par la pauvreté, (car) la part d’humain en cet homme (…) remontait en une pose absolue, vers les confins de son être qui sont devenus des choses, des lambeaux méconnaissables, les fronts plissés et inouïs de son âme »(p116).

 

Dans son essai L’Imposture Culturelle, H. Béji s’interroge sur cet écart qui sépare les discours des experts réduits à « un rite hypocrite et voluptueux de ces salles de réunion où la chair du monde se dissout pour finir dans un entonnoir qui se déverse dans une corbeille à papiers » (p12), et le vécu d’une figure anonyme, vêtue d’humanité et qu’incarne majestueusement un simple charbonnier qui traverse la rue El-Marr, par une journée glaciale et pluvieuse : « Il m’apparut, avec sont âne pelé qui contemplait la boue de ses yeux absents, avec sa charrette, avec sa balance anachronique où il pesait en souriant ses petites mottes de charbon, comme la figure même de l’humanité que je recherchais, que j’avais crue perdue, inaccessible, que le monde actuel nous dérobait (…) Oui, c’était un dernier miracle humain que Jalloul (c’était son nom) accomplissait  avec un sourire triomphant » (p164).   

 

                                                *   *   *

 

Dans l’œuvre de H. Béji, la dérision secrète son contraire et s’inscrit ainsi dans une vision dialectique. D’un côté, la conscience irritée de la narratrice stigmatise, fustige tous ceux qui se détachent de leur humanité et épousent une culture de vernis, de pacotille ou de snobisme, si bien qu’ils finissent par se transformer en véritables marionnettes, répétant mécaniquement les mêmes gestes : «  il appartenait à ce sérail désincarné des individus développés qui, à mes yeux, semblaient remuer avec des mouvements réglés d’avance dans un bocal sans air et sans vie, qui les empêchait de baigner dans la densité invisible des choses et dans la saveur des êtres vivants, et cette incapacité, à terme, lui ôtait sa propre substance et le rendait insipide »(p93). De l’autre, la narratrice trouve dans l’aura de certaines silhouettes les traces de l’humain, dernier bastion d’une culture qui a avorté sous les miroitements d’une modernité mensongère : « Ce qui m’intéresse, écrit H. Béji dans le premier chapitre de son essai L’imposture culturelle, c’est l’homme particulier de mon temps, et c’est parce que lui et moi appartenons au même âge que nous nous toisons, tels deux inconnus en proie à la stupeur de se rencontrer, égarés au fond d’une forêt sans âme qui vive, où la découverte inattendue d’un semblable va transformer notre solitude en un scénario de concorde ou d’épouvante, de guerre ou de fraternité, de terreur ou de ravissement »(p11).  Voilà les deux mouvements qui rythment et structurent l’écriture de Béji, au gré de la nature de la relation qui s’établit avec l’autre.

Si la voix de la narratrice était plutôt favorable à ceux qui sont issus du milieu modeste, ce n’est guère au nom d’une idéologie  révolutionnaire prônant la lutte de classes, car la ligne de démarcation séparant les deux catégories ne renvoie ni à un antagonisme entre riches et pauvres, ni encore à un conflit entre bourgeois et prolétaires, mais se forge un autre paradigme : défendre l’humain, cet « humain qui m’entoure, qui nous presse de toutes parts, vous, moi, et tous ces autres semblables que je croise dans la rue ». (L’Imposture culturelle p11).

 

C’est donc au nom d’un humanisme réactualisé et revitalisé  que l’écriture de H. Béji se déploie selon un modèle diptyque où le réquisitoire qui vise les uns ouvre la voie au plaidoyer qui s’adresse aux autres. Comme par une rhétorique des attractions, l’écriture se nourrit d’une alchimie des contraires.

 

                                                                  Kamel Ben Ouanès

                                                                        I S L T



[1] J G Tamine La Stylistique, Editions Armand Colin, 1992, p87



22/09/2008
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