Le cinéma à l'école
Le cinéma à l’école : un art ou
une matière d’enseignement ?
L’exemple
tunisien
Une première constatation avancée avec une insistance
désespérée par tous les pédagogues : la grande majorité des élèves ne
lisent plus. Un divorce s’est établi entre eux et la pratique de la lecture. En
effet, en dehors des contraintes scolaires imposées par le programme, rares
sont les élèves qui prennent encore l’initiative de « bouquiner » ou
de répondre à une curiosité littéraire.
Mais,
comme la nature a horreur du vide, alors le déficit de la lecture est compensé
par un engouement prononcé pour l’audiovisuel. En effet, par le truchement du
petit écran ou par le biais du DVD ou de l’Internet, ou à une moindre
importance, par les salles de cinéma, les jeunes sont devenus de grands consommateurs
de films, notamment ceux relevant du genre d’aventures, de thriller, ou de
science fiction. Cela n’a pas manqué de générer, en Tunisie, un florissant
marché de professionnels de piratage de films et un foisonnant réseau de vidéoclubs
qui ont modifié de fond en comble le paysage médiatique du pays et la logique
des structures classiques de distribution. Autant le nombre de salles ne cesse
de se réduire (on est passé de 120 salles
en 1956, année de l’indépendance, à 12 salles aujourd’hui en 2008),
autant le nombre des vidéoclubs s’accroît (on a recensé en 2007 plus de 12
mille vidéoclubs à travers le pays). Désormais, il ne serait pas judicieux de
parler de désaffection du public, mais d’un changement profond des modalités
de la réception du cinéma.
Acte
individuel et souvent solitaire, le visionnage du film est désormais perçu par le jeune essentiellement comme un moment
de loisir, un simple passe temps, un moyen commode d’évasion lui permettant
d’échapper aux contraintes et à la pesanteur du quotidien. Suivre les images
d’un film, c’est, pour lui, entrer de plain-pied dans l’univers fictionnel avec
lequel il se tisse un large pan d’identification, sans aucune marge de regard
critique.
Aussi
est-ce pour cette raison que le cinéma (ou du moins un certain genre de films)
suscite l’engouement de jeunes tunisiens et les amène à placer cette consommation
filmique à la tête de leurs activités de loisirs. Pourtant, ce jeune amateur de
films ne sera guère un cinéphile averti. Bien au contraire. Le cinéma s’impose
à lui comme « un instrument d’aliénation, d’acculturation et de
déconnexion par rapport à son environnement immédiat » comme l’a indiqué
un sociologue tunisien. Le plus inquiétant dans cette attitude est que ce jeune
a tendance à oublier que le cinéma est avant tout un art, un support culturel
et un moyen permettant l’ouverture et le dialogue avec l’Autre. Le cinéma
pourrait également être, pour lui, un précieux instrument pédagogique. Dans ce
sens, les connaissances scientifiques, littéraires ou historiques, parce qu’elles
peuvent être scénarisées et visualisées, gagnent de l’épaisseur et deviennent
visibles, palpables, accessibles pour l’apprenant qu’il est.
Danger ou chance ? Le rôle du
cinéma apparaît aux yeux des pédagogues suffisamment stratégiques pour ne pas
engager un débat sérieux et responsable entre les partenaires
concernés qui avaient multiplié, ces dernières années les rencontres et
les séminaires afin d’examiner les opportunités d’introduire le cinéma dans
l’école, comme en témoigne le programme de deux festivals de cinéma organisés
en Tunisie. En effet, le Festival international du film de l’enfance et de la
jeunesse de Sousse et le Festival international du cinéma amateur et non
professionnel de kélibia avaient tous les deux organisé plus d’une fois, avec
le concours des services compétents du ministère de l’Education forums, tables rondes ou colloques autour de
cette question : comment diffuser la culture cinématographique dans le
milieu scolaire ? Que peut apporter le cinéma à la pédagogie
moderne ? Ou comment lutter contre l’érosion de l’intérêt pour les arts et
la culture chez les jeunes ? Toutes
ces questions avaient pour objectif de réserver au cinéma une place de choix
dans l’école.
Mais
comment réaliser cet objectif ? Quels partenaires faut-il solliciter ou
associer à ce projet ?
Dans
un petit pays comme
Le
plus pertinent, aux yeux de tout le monde, était de commencer par une
utilisation appropriée de structures d’animation déjà opérationnelles au sein
de
En effet,
Cette
même interaction entre activité de loisir et intérêt pédagogique et culturel trouve
encore son application dans le programme des clubs de cinéastes amateurs. Les
jeunes adhérents (dont la plupart sont de lycéens ou étudiants) suivent une
série de stages destinés à les initier à l’élaboration du scénario et aux
techniques de la prise de vue et du montage. Ce programme intègre lui aussi le
manuel et l’intellectuel, la conception et l’exécution, la fabrication et
l’analyse. Une telle approche didactique vise à inculquer au jeune apprenant un
rôle actif, dynamique et créateur.
Ces
deux modèles d’animation, dispensés par les deux Fédération des cinéphiles et
d’amateurs de cinéma, ont constitué la référence de base à partir de laquelle a
été conçu le projet d’introduction du cinéma dans l’école tunisienne.
Partenaires
incontournables dans tout ce qui concerne le cinéma, tant en amont qu’en aval,
ces deux Fédérations ont défendu leur modèle d’animation et démontré son
efficience dans le contexte tunisien. Aussi est-ce pour cette raison que le
projet du cinéma à l’école s’inscrit dans le prolongement des activités et des
interventions de
La
formule adoptée au sein de l’établissement scolaire est celle d’un club de
cinéma. Mais quel genre de club ? Son objectif est-il de visionner et de
débattre d’un film, ou au contraire de concevoir un scénario et s’engager à le
produire ? Dans un cas comme dans
l’autre, la nature du club dépendra de la compétence ou de la sensibilité de
l’enseignant animateur, selon que cet enseignant a une sensibilité de cinéphile
ou celle de cinéaste amateur.
Le club institué dans l’Etablissement est
confié à un enseignant animateur choisi
parmi ses collègues afin d’en assurer la responsabilité, d’une manière bénévole
et en dehors de son horaire d’enseignement. Là, et selon un programme établi, certains
critiques ou cinéphiles, membres de
Quand les moyens matériels sont disponibles
dans un établissement, grâce à la motivation de son directeur ou le soutien
logistique de l’enseignant désigné, le ciné-club évolue vers un club de cinéma
amateur. Là, l’activité ne se réduit pas à un
débat autour d’un film, mais s’articule autour de quelques projets de
films à réaliser, souvent avec le soutien actif et bienveillant des membres de
La
filiation entre ces deux fédérations et l’école est poussée encore davantage si
bien que l’idée d’organiser un festival national du film dans le milieu
scolaire n’a pas mis plus que quelques mois pour voir le jour. Une première
session a été déjà organisée, avec une beaucoup célérité, en décembre 2004 dans
la ville de Sousse, puis annuellement dans plusieurs autres régions de
*** *** ***
Cette
brève radioscopie de l’expérience tunisienne montre que jusqu’ici le projet
d’introduire le cinéma à l’école ne fait que transposer à la lettre les
modalités d’animation ou d’initiation au langage cinématographique, telles
qu’elles sont pratiquées dans les associations concernées par le cinéma. Une
telle approche n’est pas négative en soi, car elle offre au milieu scolaire l’opportunité
d’assurer une ouverture sur son environnement immédiat et de créer une
interaction entre les activités culturelles et les activités pédagogiques.
Mais
là où le bât blesse quand cette interaction se mue en une copie conforme, en un
mimétisme mécanique. Et cela pour deux raison au moins. D’abord, parce que le
milieu scolaire a sa spécificité et ses exigences propres. Ensuite, parce que
l’expérience de ces Fédérations, si longue et si riche soit-elle, n’en demeure
pas moins orientée vers des préoccupations qui ne sont pas toujours au diapason
des considérations strictement pédagogiques.
Cependant,
aucun ne nie ces réserves, y compris les membres de deux fédérations.
D’ailleurs une réunion importante, organisée en marge de la première session de
festival du cinéma dans le milieu scolaire à Sousse en décembre
-
Création des Cahiers
pédagogiques du cinéma, un support dont le rôle consiste à harmoniser
l’approche d’animation et d’analyse filmique auprès de tous les intervenants.
Cette publication, qui sera éditée par le département des activités culturelles
au sein du Ministère de l’Education,
proposera plusieurs rubriques dont notamment une présentation d’un
épisode de l’histoire du cinéma, une brève monographie d’une grande figure du
cinéma (cinéaste ou acteur ou scénariste), une initiation à l’analyse de film
et une autre initiation consacrée aux techniques de la prise de vue ou du
montage, ainsi qu’un volet ludique où saura tester la culture de l’élève et
aiguiser sa curiosité de cinéphile.
-
Dispenser une
formation appropriée aux formateurs encadreurs, et cela par le truchement d’un
cycle de stages où sera prise en considération la spécificité du public ciblé.
-
Envisager, en
concertation avec les inspecteurs de l’enseignement, la création d’un
baccalauréat cinéma, comme c’est le cas dans plusieurs pays méditerranéens.
Le cinéma à l’école doit, cependant, éviter le piège
de réduire cette ouverture sur l’art cinématographique à une simple matière
scolaire qui aurait perdu toute charge émotionnelle et esthétique. Et en même
temps, éviter l’écueil de l’enfermer dans la désinvolte logique de
divertissement. Car nous pensons que le cinéma est parfaitement en mesure
d’aider les élèves à comprendre leur environnement social et culturel, et aussi
leur apporter un éclairage accessible sur plusieurs questions étudiées en
classe, questions relevant des domaines aussi variés que multiples, telles que
la littérature, l’histoire, la géographie, la philosophie, ainsi que les
questions scientifiques.